CARNET D’AUTEUR #1 CAPTAINS’ WAR
L’idée de base
Confinement 2020, je me retrouve confiné dans le centre de ville de Toulouse avec mes deux colocataires de l’époque, le copain de l’une d’entre eux et ma future fiancée.
Comme tous les français, nous avons testé à peu près tout ce qui était possible de faire lorsqu’on est enfermé, mais nous avons surtout joué, joué et encore joué à tous les jeux de société que j’avais à l’époque (une vingtaine contre un peu plus de 300 aujourd’hui..).
Deux d’entre eux sortaient plus que les autres sur notre table de jeu, 7 wonders (Antoine Bauza) et Welcome to your perfect home (Benoit Turpin).
Pour les néophytes, le premier est un jeu de civilisation où on développe nôtre cité et le second un roll&write, enfin non, LE roll & write.
Avant d’aller plus loin, il est important d’expliquer ce qu’est un Roll & Write. Le R&W est un type de jeu utilisant une feuille de papier comme support principal, plutôt que du matériel à proprement parler. Les joueurs ont généralement des dés qu’ils lancent (Roll) et une feuille sur laquelle écrire (Write). Le plus connu étant le Yams même si depuis, des centaines de supers R&W ont vu le jour.
Reprenons, nous enchaînons les parties de 7W et de Welcome mais plusieurs petites choses commencent à me gêner.
La première est dans 7 wonders, je suis très frustré de comparer la force militaire avec uniquement mon voisin de gauche et mon voisin de droite, j’aurai aimé pouvoir comparer avec n’importe quel joueur.
La seconde est dans Welcome (Benoît ne m’en veut pas) mais j’étais frustré de jouer dans mon coin et de ne jamais regarder ce que faisaient les autres joueurs.
Je décide donc, folie du confinement, de prendre une feuille et un stylo et de commencer à gribouiller tout ce qui me passe par la tête. Mon objectif à ce moment là est simple, essayer de faire un mix des sensations trouvées dans ces deux jeux avec comme lignes directrices :
Pouvoir attaquer qui je veux
Devoir lever la tête pour voir ce que font les autres joueurs sur leur feuille
Avoir des dés dans le jeu
Pour ceux qui ont joué à Captains’ War, j'ai eu la chance pour un premier jeu, d’avoir un prototype qui ressemble énormément à la version finale (ce n’est plus le cas sur mes prochains jeux, je vous rassure).
Bon cette feuille ressemblait clairement à une feuille excel. Mais le jeu tournait et je l’ai fait tourner énormément avec mes copains d’école d’ingé à la sortie du confinement et j’ai envoyé le fichier et des dés à tous les copains qui étaient en capacité de faire tourner le jeu. Mon but était simple, équilibrer le jeu et recenser le maximum de retours.
Puis vient le moment où je ne sais plus trop quoi modifier sur mon jeu. Il me plait et je suis content. Je me retrouve à une après-midi d’été chez un pote d’école (Robin si tu es par là je parle de toi) avec une dizaine de copains. On joue à Empire (l’ancien nom de CW) et une personne, je ne sais plus qui, me sort une phrase qui resta bloquée en moi pendant des semaines : “Mec c’est vraiment énorme comme jeu, si ça sort en magasin je l’achète de suite”.
L’idée ne m’avait jamais traversé l’idée à vrai dire. C’est un peu comme si je voulais éditer les histoires que j’écrivais quand j’étais petit.
Puis lors du second confinement je me suis dit “pourquoi pas”.
Une première chose m’embêtait beaucoup, mon prototype était moche. J’ai donc contacté la soeur d’un copain qui était en école de design (Chloé Plumey) afin de savoir si elle pouvait m’aider à le rendre plus “joli”.
Je lui propose donc de tester le jeu à distance (une feuille imprimée et moi qui filme les dés), le jeu lui plaît et on commence donc à travailler ensemble. Elle m’annonce dès le début que si je le souhaite on peut passer le thème sur la piraterie car elle aura plus de facilité à dessiner cet univers. Chose que j’accepte immédiatement, je me dis que les pirates plaisent à tout le monde et que le côté combat pourra être encore plus mis en avant avec ce nouveau thème.
Comment contacter des éditeurs ? :
Puis là, à 20 ans tu te poses et tu te dis “comment je peux trouver et contacter des éditeurs de jeux de société” ?
Je décide de payer un professionnel pour réaliser une vidéo de présentation de mon jeu, en me disant que ça ne pouvait que m’aider :
Je découvre à ce moment là qu’il existe des “influenceurs ludiques/critiques”. Comme dans chaque milieu artistique, des humains parlent et mettent en avant les jeux. Je n’y connais rien, mais je me dis que les contacter pourrait être une bonne idée. J’en contacte une pelleté en me disant que s’ils trouvent ça bien, ils en parleront peut être et sinon ? Ben tant pis.
Puis je navigue sur internet à la recherche d’éditeurs, et pour être honnête, j’ai beau ne rien y connaitre, je contacte tout le monde. Je dis bien TOUT LE MONDE. Chose qui maintenant me fait rire car 1) Ce n’est pas la bonne chose à faire pour éditer un jeu et 2) J’ai écrit à des éditeurs qui maintenant sont des copains, et avec du recul c’est assez drôle. (bisous Antoine).
Et évidemment, je prends refoule sur refoule. Soit les éditeurs ne me répondent pas, soit ils ne sont pas intéressés. Au bout de quelques mois je commence à vouloir abandonner jusqu’à temps que Bragelonne Games (Hachette) que j’avais contacté via leur facebook, m’envoie un mail :
“Bonjour Alexandre,
Notre community manager m’a fait suivre votre message Facebook que je trouve à mon retour de congés. J’ai une question quant aux matériels. Combien de dés distincts sont nécessaires ? Lesquels ? À bientôt,“
“Scène de moi qui court de joie dans le salon non filmée et diffusée ici”
Je vais passer les détails mais s'en suit beaucoup de discussions avec Bragelonne et la découverte d'une superbe équipe :
Sébastien Célerin : l'éditeur. Un pilier du milieu qui a bossé sur de grands noms du jeux et surtout un des douzes singes.
Gaelle Buecheler : la respo com et boutiques
Emmanuel Beiramar : le roi des festivals
Yoann Dolomieu : le roi de la fab
Je ne vais pas m'étendre d'amour mais quel plaisir de bosser avec cette équipe… merci a Yo d’avoir testé toutes mes idées les plus loufoques et d'avoir passé des nuits sur la suite Adobe car je voulais décaler d’un millimètre une forme. Merci a Gaëlle d’avoir supporté et suivi beaucoup de mes idées de com à la con, merci a Manu pour tout, a ta femme et ton super fils de m’avoir accueilli lors de ces festoches, de m'avoir permis de me remettre a magic et de garder ce smile en jouant et présentant CW à des centaines de gens. Et enfin merci à Sébastien, de m’avoir donné une chance dans ce milieu, d'avoir cru en moi, de m'avoir présenté tant de belles personnes. Je ne serai jamais la où j’en suis sans toi aujourd'hui et je t’en remercie chaque jour.
Anecdote : Sébastien a fait en sorte que la date officielle de signature de mon premier contrat soit le jour de mon anniversaire. J’ai beau être le plus terre à terre possible j’ai trouvé ça cool et symbolique.
Un game design particulier ?
Ce qui était particulier avec CW c'était que c'était un jeu à cocher. Le point positif était que je pouvais facilement changer le design et ré-imprimer, le mauvais était que j’imprimais H24 et j'y passais un temps fou (et ça me coûtait un bras). A cette époque je ne connaissais pas les joies de la plastifieuse.
Le désavantage de jouer sur une feuille, c’est que tout le monde donne son avis sur la disposition de la feuille car tout paraît “simple”. Alors qu’il s'agit d’un des jeux où j’ai le plus investis de temps niveau ergonomie ^^
Enfin bref, Sébastien décide d’engager Olivier Derouetteau au pinceau et il commence à faire de magnifiques choses :
Propositions d’illustrations pour les premiers éléments de Captains WAR - by Olivier Derouetteau
Je ne vais pas vous cacher, que voir ce qu’on a toujours imaginé dans sa tête prendre vie, surtout par quelqu’un avec autant de talent, ça fait bizarre la première fois.
Il est temps de tester les premiers dessins, et l’ergonomie de la feuille pour avoir des retours publics. C’est parti pour le Festival des jeux de Parthenay (le FLIP). Un festival qui se déroule en extérieur sur 2 semaines.
Ce fut un des moments de game design du projet les plus cools. Pourquoi ? Car j’avais la chance d’avoir un éditeur à fond et qui avait un focus énorme sur Captains’ War. On faisait tester le jour, et la nuit on faisait tous les modifs pour tester les mises à jour le lendemain. On a fait ça tout le festival, et c’était assez royal on ne va pas se le cacher.
Les festivals s’enchaînent :
Vichy 2021 (Septembre) : à cette époque la distinction professionnel/public n’était pas présente. Il y avait donc à l’étage le public et au sous-sol les professionnels. Le jeu était officiellement montré “fini” pour la première fois (la couverture était en train d’être coloriée). Les retours furent bons, malgré la masse de jeux à cocher qui arrivait. J’étais un homme heureux.
Cannes 2022 : un moment particulier, des bâches en grand du jeu. Le jeu en 4 ème de couverture du fascicule du festival et beaucoup beaucoup de gens.
Pour moi la première belle photo d’un JDS que je vois (merci Julien)
Arrive juin 2022 pour la sortie du jeu.
Et voila le jeu se retrouve en boutiques.
Quelle épopée..
Le résumé niveau date :
Confinement 2020 : Début du prototype
29 Avril 2021 : Signature du jeu chez Bragelonne Games
Été 2021 : Premiers tests publics au FLIP
7 juin 2022 : Sortie du jeu en boutiques
Le résumé niveau humain/général :
CW fut mon premier jeu édité et une de mes plus belles expériences
Merci Sébastien, vraiment, et à toute l’équipe
CW m’a fait rencontrer beaucoup de gens qui sont mes amis aujourd’hui
Découverte du monde ludique (et quel monde !!)
La durée de publication fût relativement courte, 2 ans entre le prototype et la sortie du jeu.
Avec du recul - 3 ans plus tard on en pense quoi ?
Bragelonne a fermé a la fin du premier tirage de Captains” War. Assez triste de mettre fin si rapidement à un tel travail pour des raisons de politiques/financières. Heureusement le jeu a été repris depuis. Nous avions beaucoup travaillé sur une extension, j’aimerai retrouver du temps pour m’y pencher dessus dès que possible.